Dans le cadre de la crise sanitaire, l’Insmi (Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions) du CNRS a mis en place MODCOV19, une plateforme de coordination des actions autour de l’épidémie du covid-19 impliquant la modélisation. Nous avons échangé avec Jean-Stéphane Dhersin, professeur au LAGA (Laboratoire Analyse, Géométrie et Applications) de l’université Sorbonne Paris Nord et Directeur Adjoint Scientifique de l’Insmi, chargé de la mise en place de cette plateforme.
Pouvez-vous me rappeler quelles sont vos différentes fonctions et votre rôle dans ce projet ?
Je suis professeur au LAGA de l’université Sorbonne Paris Nord, où j’exerce depuis 2009. J’ai par ailleurs été nommé en 2017 Directeur Adjoint Scientifique de l’Insmi du CNRS. C’est dans ce cadre que je m’occupe de la plateforme MODVOC19, mise en place par l’Insmi. C’est un projet que j’ai initié et qui s’inscrit dans la continuité de mes expériences de recherches en modélisation des épidémies développées au LAGA.
Quels sont les objectifs d’une telle plateforme ?
En cette période de crise du Covid-19, la modélisation est un atout majeur, et ce dans de nombreux domaines : elle intervient bien entendu dans l’étude de l’évolution de l’épidémie, mais aussi dans celle des flux de population et leur impact sanitaire, dans l’estimation des capacités de prise en charge ; des chercheurs en mathématiques sont également capables de corriger par des méthodes statistiques des données biaisées, ce qui s’avère utile lorsque l’on est confrontés, comme c’est le cas actuellement pour le Covid-19, à des données issues d’un échantillon non représentatif. De très nombreux champs disciplinaires sont concernés par la modélisation.
Nous avons très vite constaté à l’Insmi que des spécialistes en modélisation, désireux de contribuer à l’effort scientifique, nous faisaient part de leurs travaux, et que parallèlement nous étions sollicités pour apporter notre expertise sur l’efficacité d’actions mises en œuvre ou pour nous prononcer sur la validité de résultats apparaissant dans des prépublications scientifiques.
Forts de ce constat, nous avons amorcé l’idée de la création dès le 20 mars d’une plateforme, répondant à ce besoin émergent de coordination et de mise en réseau des chercheurs et chercheuses, et d’articulation et d’optimisation des travaux menés.
Comment s’est déroulée la mise en œuvre de cette plateforme ? Comment fonctionne-t-elle aujourd’hui ?
Nous avons dans un premier temps pris contact avec le professeur Yazdan Yazdanpanah, chef de service des maladies infectieuses et tropical à l’hôpital Bichat et directeur de l’Institut d’infectiologie à l’Inserm, qui fait partie du Conseil scientifique mis en place par le gouvernement, dans une volonté d’articulation de notre initiative avec celles déjà mises en places, en particulier celles issues du consortium multidisciplinaire REACTing de l’Inserm sur les maladies infectieuses émergentes, activé dès janvier.
In fine, le positionnement retenu, en cohérence avec les ressources et les missions de l’Insmi a été de se concentrer sur les travaux qui ne répondaient pas forcément à une demande explicite et urgente, mais pourraient se révéler utiles pour la suite, le tout dans une approche pluridisciplinaire.
Une fois ce cadre délimité, nous avons soumis notre projet à la direction du CNRS, qui nous a donné son accord le 25 mars, suite à quoi nous avons contacté les Unités Mixtes de Recherche (UMR) concernées pour lancer notre projet.
Nous avons alors mis sur pied une équipe de coordination une douzaine de personnes (essentiellement des modélisateurs d’UMR CNRS, mais également des chercheurs INSERM et INRAE, et un PU-PH) pour trier et répondre aux nombreuses propositions reçues. Nous adressons également régulièrement à nos répondants une lettre de diffusion.
Les résultats, propositions et informations d’intérêt opérationnel trouvés dans ce cadre sont remontés à REACTing ainsi qu’à CARE, le Comité d’analyse, recherche et expertise, chargé par le gouvernement d’éclairer les pouvoirs publics sur les propositions formulées par la communauté scientifique et de vérifier que les conditions de déploiement et de portage sont réunies.
Nous sommes désormais également intégrés dans le groupe de travail « COVID-19 » de la plateforme des données de santé Health Data Hub.
Quels sont les retours ?
Nous avons reçu à ce jour plus de 250 réponses de chercheurs et chercheuses. Nous sommes ravis de constater que de nombreux champs scientifiques ont répondu à cet appel : en mathématiques bien sûr, mais aussi en physique, biologie, informatique ou encore sciences de l’environnement, de l’ingénieur ou humaines. Nous remarquons d’ailleurs avec intérêt que certaines propositions concernent des domaines auxquels on ne pense pas habituellement dans le cadre d’une réponse à une crise sanitaire.
Nous avons recensé des projets très concrets : maximisation des lits disponibles dans les hôpitaux, optimisation de l’allocation de ressources, mise en place de veilles sur des mots clés par le biais de l’intelligence artificielle… Mais nous sommes également ouverts à des initiatives plus théoriques et moins immédiatement opérationnelles : nous avons intérêt à profiter de cette mobilisation exceptionnelle pour explorer toutes les pistes possibles.
J’en profite d’ailleurs pour inviter tous les scientifiques de la communauté de la modélisation intéressés par notre démarche à nous contacter :https://modcov19.math.cnrs.fr/